En mars 2009, devant le Conseil économique et social, les dix architectes invités à plancher sur l’avenir de Paris avaient exprimé, par la parole, leur vision de la future agglomération. Avec un objectif : faire oublier le costume trop étroit de la ville Lumière, ceintré dans le boulevard périphérique. L’exposition gratuite, présentée à partir du 30 avril à la Cité de l’architecture et du patrimoine, permet de faire émerger une synthèse lisible de la diversité des projets.
Dix équipes aux noms connus ou moins connus sont réunies : Jean Nouvel, Christian de Portzamparc, Yves Lion, Antoine Grumbach, Roland Castro, Djamel Klouche, l’équipe britannique Richard Rogers et Stirk Harbour, les Italiens Bernardo Secchi et Paola Vigano, l’agence néerlandaise MVRDV de Winy Maas, l’Allemand Finn Geipel.
Pas si simple, comme travail : lorsqu’on sollicite un ténor, il y a peu de chances pour qu’il renonce à chanter. La Cité est cependant parvenue à partager avec le public l’essentiel de cette impressionnante somme de travail.
Quelles idées mirobolantes sur la métropole de demain nous sont servies ? Comment montrer avec pédagogie ce monde de l’urbanisme, où fourmillent équations, axiomes, et paramètres (transports, voiries, égouts, impératifs géographiques, poids des structures et des bâtiments existants, etc.), rendant si difficile la réduction des problématiques de la ville à leur dimension culturelle et sociale ?
Une belle idée permet de rendre en partie possible ce pari. L’exposition des projets est présentée, non en sous-sol mais dans les grands espaces lumineux du Musée des monuments français, où se trouvent en permanence les pesants moulages de joyaux de l’architecture religieuse et civile française.
Entre ces moulages, l’architecte Jean-Christophe Quinton a imaginé dix espaces fermés, proportionnels à la volumétrie des décors historiques, des losanges blancs assez forts pour tenir face à la magie spectaculaire du vieux musée.
Dans ces dix tipis contemporains (16m2 au sol, 7 m de haut), chaque équipe a pu transcrire librement, en images parlantes, le plus souvent sur écran, les centaines de pages réunies pour la consultation.
Après les discours du mois de mars, l’art et le sentiment ont repris leur place. C’est dans la nature de l’architecte (des bons, des vrais) de ne pouvoir scinder les dimensions esthétiques et sociales du métier de ses obligations fonctionnelles et techniques.
Pour rendre accessible la quintessence du travail de chaque groupe, Francis Rambert, directeur de l’Institut français d’architecture, ancien journaliste, a poussé chacune des têtes d’affiche dans ses retranchements. Il leur fait dire devant une caméra, en quelques minutes, ce qu’elles n’étaient pas parvenues à formuler au cours de dizaines d’heures de débats.
L’exercice, accepté par les victimes, fausse un peu l’enjeu à force de simplification, mais il permet de faire émerger l’essentiel, voire la dimension cachée des desseins exprimés. Plusieurs ont dit que la question de la « gouvernance » – quelle sera la future administration de la métropole, entre le Paris actuel et villes autour – est un préalable si important qu’on peut la laisser en filigrane, derrière les autres enjeux.
Le Britannique Richard Rogers et son acolyte Stirk Harbour, anciens conseillers du maire de Londres, incarnent cette nécessité sans laquelle la ville se perd dans une vision filandreuse. Ils en rajoutent une couche à travers des propositions qui se résument en trois mots : compacité, densité, mixité. Trois termes qui traduisent la dimension écologique de leur projet – les exigences environnementales de « l’après-Kyoto » sont au coeur de la consultation.
Dans le même climat, Jean Nouvel préconise, à travers 14 écrans, « neuf mesures » avec des solutions simples mais urgentes : jardins sur voies rapides ou « écovilles ». Qu’il s’agisse d’architecture ou de systèmes urbains, dit Nouvel, rien ne saurait se faire sans le savoir-faire des artistes, parmi lesquels se rangent les architectes. Sauf à faire du futur Paris un ratage, ce dont on n’est pas loin.
Autres idées, souvent partagées : penser la ville à partir de ce qui est, et non de modèles fondés sur la table rase ou sur la science-fiction ; renforcer les liens entre les périphéries. Yves Lion approfondit cette étude de l’existant, travail extrêmement fin qui introduit la question de la méthode, avant de penser aux connexions et aux transports. Lion livre ainsi 90 mesures, proposant par exemple que la nationale 7 devienne un lieu de promenade.
Portzamparc part, presque à l’inverse, d’une analyse des grands axes de transport (un train au dessus du périphérique, une nouvelle gare à Aubervilliers), ce qui lui permet de voir la ville comme un ensemble de pôles reliés. Chez Nouvel, Lion ou Portzamparc, l’architecture « montrée », ou plutôt rêvée, ne vient que comme le support d’une pensée assez élaborée et ouverte pour permettre de multiples scénarios.
Djamel Klouche se concentre sur l’étude des multiples échelles rencontrées, mais aussi sur les natures immensément contrastées. C’est un discours nouveau qui peut sembler abstrait mais qui montre, dans l’exposition, toute sa pertinence.
Le pari de Klouche est plus facile à suivre que celui, subtil et méthodique jusqu’à l’inapplicable, de l’équipe Secchi-Vigano, qui semblent importer des solutions aqueuses (une ville reliée à l’eau) peu en accord avec une hypothèse pessimiste de l’après-Kyoto.
Il serait exagéré de dire que l’équipe de MVRDV (une ville plus compacte, aux immeubles surélevés) et celle de Finn Geipel (alternance de ville dense et ville légère) apportent des solutions préalables à la méthode. C’est cependant ce qui peut ressortir de leurs expressions visuelles.
Les deux dernières équipes, Grumbach et Castro, pourront séduire, notamment le premier qui étend Paris jusqu’au Havre, et qui agrémente la visite de cris de mouettes. Compte tenu des infrastructures et investissements que ces projets impliquent, on est loin, ici de l’après-Kyoto.
source : lemonde.fr
www.citechaillot.fr
et le site du Grand Paris
Read Full Post »